Guillaume Couture
HISTOIRE DE GUILLAUME COUTURE (1618-1701)
Guillaume Couture (14 janvier 1618 – 4 avril 1701) était un voyageur interprète d’une très grande importance dans les échanges avec les amérindiens et le premier colon français d’origine qui s’est s’installé en 1647 sur la première concession de la seigneurie de Lauzon. Il est donc le premier colon à établir les bases de ce qui deviendra la Ville de Lévis fondée en 1861. Cette seigneurie était située au sud de la Ville de Québec, précisément dans le secteur nommé Pointe-Lévy (autrefois l’ancien village, ville et cité de Lauzon). Il est l’ancêtre de tous les Couture de l’Amérique du Nord.
Héros méconnu de la Nouvelle-France, Couture devint le premier juge sénéchal et capitaine de milice de la Pointe-Lévy (ou Pointe-de-Lévy). Il n’a jamais obtenu officiellement un titre seigneurial. Cependant, par ses initiatives et ses habiletés, il a contribué au développement de la colonisation des terres au sud de Québec et il fut aussi un explorateur en Nouvelle-France. On peut lui donner le titre de « roturier bâtisseur » ou « père fondateur » de la seigneurie de Lauzon. Il siégea aussi à quelques occasions au Conseil souverain de la Nouvelle-France à titre de remplaçant.
À l’époque de la Nouvelle-France, le patronyme « Couture » s’écrivait « Cousture » (de même que « Coûture »). Le nom de famille actuel, dit « Couture », trouve son origine dans la France médiévale. Ainsi, une cousture, costure ou couture, en ancien français, signifiait « un champ labouré » ou « une terre cultivée et ensemencée ». Le nom proviendrait du mot latin cultura qui a fait naître également le terme d’ancien français colture, écrit plus tardivement au XIVe siècle « culture », mais qui subsiste sous la forme ancienne dans les coutumiers. Les Couture sont originaires essentiellement du nord de la France, mais on en retrouve également au centre et au sud ouest de la France (où d’ailleurs il est plutôt la francisation du terme gascon).
Le nom de famille Couturier a une origine différente puisqu’il a le même sens que le nom commun actuel. Dans certains cas, rares toutefois, Couture a pu désigner aussi, par ellipse, le couturier.
COUTURE, GUILLAUME (il signait parfois Cousture), menuisier, donné des jésuites, découvreur, interprète, diplomate, juge sénéchal, premier colon de Lévis, né vers 1616 à Saint-Godard-de-Rouen (Normandie), fils de Guillaume Couture et de Madeleine Mallet, décédé en 1701.
Il est impossible, d’après les documents connus, de fixer l’année de son arrivée en Nouvelle-France. Les Jésuites qui, dans leurs Relations, ne tarissent pas d’éloges sur son dévouement et son courage ne fournissent aucun indice sur ce point. Les années 1639 et 1640 semblent les plus probables. Il peut avoir fait la traversée en même temps que René Goupil* et le père René Ménard*, au printemps de 1640, et s’être engagé comme aide des Jésuites avant son départ de France. Sa vocation de « donné » peut lui avoir été inspirée par Goupil, qui l’était déjà. Dans un acte du 26 juin 1641, signé à Québec, dans lequel il lègue à sa mère et à sa sœur les quelques biens immeubles que son père lui avait laissés en France, Couture se qualifie « domestique des révérends pères religieux de la Compagnie de Jésus de la mission des Hurons en la Nouvelle-France ». Il part peu après pour la Huronie, apportant divers effets pour les missionnaires. C’est la première de ses grandes randonnées. Il revient à Québec le printemps suivant, avec les pères Isaac Jogues* et Charles Raymbaut*, ce dernier gravement malade ; quelques chefs indiens, dont le célèbre Ahatsistari*, les accompagnent : en tout 25 voyageurs en 4 canots.
Quinze jours à peine après leur arrivée, Jogues et Couture, accompagnés cette fois de René Goupil, appareillent à nouveau pour le pays des Hurons. Il s’agit d’une expédition d’envergure, car les chefs indiens, venus à Québec en mission officielle, retournent en même temps qu’eux dans leur pays, assurés de la protection des autorités françaises contre leurs ennemis iroquois. Le 1er août 1642, 12 canots, portant une quarantaine de personnes, quittent Trois-Rivières. Le départ n’échappe pas à l’œil vigilant des sentinelles ennemies. Le premier soir du départ, à peine arrivé à l’entrée des Îles-du-Sud du lac Saint-Pierre, le convoi fait halte pour la nuit [V. Ahatsistari]. Le lendemain, à la pointe du jour, on va se mettre en route quand des éclaireurs décèlent sur la rive des pistes d’Indiens. On part quand même, mais, moins d’une demi-heure plus tard, la petite troupe entendant des coups de feu regagne en hâte le rivage. Goupil, novice en forêt, est vite capturé. Jogues, qui s’est un instant caché dans les broussailles, se rend de lui-même aux Iroquois, afin de ne pas abandonner ses compagnons. Couture croit le missionnaire en lieu sûr et réussit à s’enfuir ; mais, ne le trouvant nulle part et ne voulant pas l’abandonner, il revient sur les lieux de l’embuscade. En cours de route, il rencontre cinq Iroquois ; l’un d’eux le couche en joue, mais manque la cible ; Couture tire à son tour et tue son adversaire. Les quatre autres le capturent et, comme le mort était leur chef, Couture connaît pour la première fois la vengeance indienne. On lui arrache les ongles, on lui brise les jointures puis on lui perce lentement la paume des mains. Un doigt est scié à l’aide d’un coquillage et Couture endure tout sans un cri ; non loin de là, ses compagnons en font autant. Les prisonniers qui n’ont pas été tués sur-le-champ sont emmenés aux villages agniers où d’autres tortures les attendent. Tous sont mis à nu et doivent passer entre deux rangées d’hommes armés de fouets et de massues et qui les frappent à tour de rôle. Couture ouvre la marche de cette funèbre procession, qui recommence à chaque village.
Couture est abandonné, selon la coutume, à la famille du chef qu’il a tué, pour qu’elle dispose de lui comme elle l’entendra. On le fait assister au supplice atroce du chef Ahatsistari, dont il fournira plus tard les détails au père Jogues. Il est ensuite adopté par une veuve de la tribu, qui panse ses blessures et le traite bien. Il confessera par la suite à Jogues que, malgré les propositions qui lui ont été faites, il est resté fidèle à ses vœux de donné.
Le 29 septembre 1642, Goupil est assassiné. Jogues réussit à s’évader en novembre 1643, avec la complicité des Hollandais voisins, et à s’embarquer pour la France. Guillaume pourrait se joindre à lui, mais il ne veut pas compromettre la fuite du missionnaire et décide d’attendre une autre occasion. Il continue de se perfectionner dans la langue iroquoise, d’observer les mœurs, et surtout tentent de percer les intentions des chefs. Il s’adapte bien à son nouveau genre de vie. Son attitude pacifique le met en confiance auprès des membres du conseil. Une Relation mentionne que « les Iroquois le tenaient parmi eux en estime et réputation comme un des premiers de leur nation. Aussi tranchait-il parmi eux du capitaine, s’étant acquis ce crédit par sa prudence et par sa sagesse ». Léo-Paul Desrosiers écrit avec justesse que « Couture est […] le premier Français à conquérir une grande influence en Iroquoisie, après y avoir été adopté, et à jouer dans ce pays ennemi même un rôle favorable à la France. Comme plusieurs de ses successeurs […], il s’élèvera chez ce singulier peuple de l’état de prisonnier à celui de chef ».
Ainsi, en juillet 1645, il accompagne le grand chef Kiotseaeton*, diplomate attitré de la. tribu des Agniers, à un conseil tenu à Trois-Rivières par le gouverneur général Huault* de Montmagny et François de Champflour*, commandant et gouverneur local. Couture est vêtu à l’iroquoise, comme ses compagnons. Il s’identifie, mais tous, y compris le père Jogues revenu de France depuis quelque temps, hésitent à le reconnaître, car on a perdu tout espoir de le revoir. « Si toit qu’il fut reconnu, note la Relation de 1645, chacun se jeta à son col, on le regardoit comme un homme ressuscité qui donne de la joie à tous ceux qui le croyaient mort, ou du moins en danger de passer le reste de ses jours dans une très amère et très barbare captivité ».
C’est bien dans un désir sincère de paix que les Agniers ramènent leur précieux prisonnier, car Couture les a convaincus des intentions sympathiques des Français. Mais l’idée de ce dernier va encore plus loin ; il voudrait être l’instigateur d’une paix définitive entre toutes les nations indiennes et la colonie française. Dans ce but, il accepte de retourner avec les ambassadeurs iroquois pour les encourager à entamer des négociations sérieuses de paix avec les Hurons.
Revenu au printemps de 1646 de son ambassade chez les Agniers, Guillaume sollicite des Jésuites l’autorisation de rompre ses vœux de « donné », car il a l’intention de se marier : peut-être désire-t-il épouser une Iroquoise en vue de renforcer l’alliance entre les Indiens et les Blancs. Le supérieur Jérôme Lalemant* donne son consentement le 26 avril. Couture poursuit à Trois-Rivières et à Québec ses pourparlers de paix avec les chefs des diverses nations. Il est sur le point de réussir lorsque le père Jogues, qui en est à son deuxième séjour chez les Agniers depuis son évasion, et son compagnon Jean de La Lande* sont assassinés, le 18 octobre 1646. Les négociations sont rompues. Les Algonquins et les Hurons s’en réjouissent secrètement, car ils vont conserver seuls l’amitié des Français. Couture, nullement découragé, se rend chez les Hurons en 1647 pour tâcher de renouer les traités d’alliance. Ses efforts sont vains, mais à son retour la population trifluvienne et les Indiens fidèles lui font fête, inspirés par le père Jacques Buteux* qui l’estime hautement et qui, dans un mémoire de 1652, l’appelle « le bon Couture ». Une semblable fête lui est réservée à Sillery, « avec la joie de tous les sauvages hurons, algonquins et anniéronons [Agniers ] », note le Journal des Jésuites.
En cette même année 1647, Couture s’associe à François Byssot* de La Rivière et va s’établir à Pointe-Lévy, en la seigneurie de Lauson. Il accepte de défricher un terrain et de bâtir pour son associé un corps de logis, ce dernier fournissant l’argent et les matériaux. À l’automne, la bâtisse est terminée ; Byssot donne 200ª à Couture pour son travail, et lui permet de rester dans le logis jusqu’à ce qu’il ait terminé, sur un terrain voisin, sa propre maison. Le 15 octobre 1648, tous deux obtiennent du seigneur Jean de Lauson* leur titre officiel de concession. Le 18 novembre 1649, Couture épouse Anne, une des trois sœurs Esmard, venues ensemble de Niort, en Poitou : Barbe épousa Olivier Letardif* et Madeleine, Zacharie, le fils de Zacharie Cloutier*. La cérémonie du mariage, présidée par l’abbé Le Sueur*, a lieu « en la maison du dit sieur Couture à la pointe de Lévis », dit le registre de catholicité de Québec.
Bien que Couture soit désireux de rester tranquille sur son bien et de le faire fructifier, sa connaissance des langues indiennes et son expérience de la vie des bois sont souvent mises à profit par les autorités. On ne peut douter qu’il ait fortement inspiré le père Buteux dans la partie de la relation détaillée que ce religieux fit de la captivité du père Jogues. À part quelques Hurons, il en fut le seul témoin. En 1657, il est réclamé comme interprète pour l’établissement d’une mission chez les Onontagués, mission que cette tribu a elle-même réclamée. En 1661, Couture accepte de participer avec les pères Gabriel Druillettes* et Claude Dablon*, Denis Guyon et François Pelletier, à une expédition envoyée par le gouverneur Voyer d’Argenson à la découverte de la mer du Nord. Les guides indiens, redoutant la présence d’Iroquois dans les parages, abandonnent les Français à la ligne de partage des eaux. Deux ans plus tard, il accepte la proposition du gouverneur Dubois* Davaugour de prendre le commandement d’une expédition pour accompagner « les Sauvages du côté du nord jusques et si longtemps qu’il le jugera à propos pour le service du Roy et le bien du pays : et pourra aller ou envoyer hyverner avec eux, s’il y trouve sa sûreté et quelque avantage pour le bien public ». Il s’agit d’une expédition d’envergure : trouver une route intérieure vers la mer du Nord. Deux Français, Pierre Duquet*, plus tard notaire, et Jean Langlois, charpentier de navires, accompagnent Couture ; les autres sont des Indiens : en tout 44 canots. Dans une déclaration assermentée qu’il fit en 1688, Couture retrace l’itinéraire suivi : le groupe part à la mi-mai de Québec, s’engage dans la rivière Saguenay, arrive au lac Mistassini le 26 juin. Une tempête soudaine laisse un pied de neige. Le groupe continue sa route, arrive à une rivière [Rupert] « qui se décharge dans la mer du Nord ». Les Français ne peuvent poursuivre leur route, car les guides indiens ne veulent pas aller plus loin. Couture l’affirme en 1688 : il n’a pu, en 1663, se rendre à la mer du Nord. Tout de même, cette téméraire expédition lui a permis de connaître la vaste région au nord du Saint-Laurent, peuplée de tribus indiennes de mœurs bien différentes et plus pacifiques que les Iroquois et les Hurons. En 1665 il s’entend avec Charles Amiot*, Noël Jérémie* et Sébastien Prouvereau, pour accompagner le père Henri Nouvel qui va évangéliser les Papinachois. L’année suivante, il est délégué par le gouverneur en Nouvelle-Hollande pour protester contre le meurtre de deux officiers français par les Agniers. Il se rend chez les Iroquois et les somme de livrer les meurtriers, les menaçant d’une expédition punitive. Il revient à Québec le 6 septembre avec deux Agniers, dont l’un était le chef du groupe qui avait tué le lieutenant Chazy.
Cet épisode marque la fin de la carrière aventureuse de Guillaume Couture. Par la suite, il ne quitte guère son domaine de la Pointe-Lévy. Le recensement de 1667 l’y situe, avec sa femme et 9 enfants. Il a 20 arpents en culture et 6 bêtes à cornes. Il exerce tour à tour ou cumule les charges les plus importantes de la seigneurie : capitaine de milice, greffier, « juge sénéchal de la côte de Lauzon ». Selon un acte de Nicolas Métru du 16 novembre 1684, il aurait fait aussi office de notaire. En 1675, il sollicite pour la seigneurie, où les censitaires commencent à être nombreux, un curé résident. Il ne l’obtiendra qu’en 1690, étant donné la rareté de prêtres. Par ces différentes sources, on sent qu’il est l’âme de la seigneurie naissante. Pourtant, au recensement de 1681, il ne se donnait que l’humble titre de menuisier.
On ne peut que paraphraser sur les dernières années de sa vie, qui furent celles d’un colon ordinaire des premiers temps. L’attaque de Québec par Phips* en 1690 mit les habitants de la rive sud sur un pied d’alerte. Il est probable que l’ancien héros ne s’en désintéressa pas, mais on ne possède aucun détail précis sur sa participation aux projets de défense. Les archives du Conseil souverain ont conservé les détails de mésententes survenues parfois entre Couture et Byssot, d’autres fois entre les deux pionniers et les autres censitaires de la seigneurie. L’analyse de ces documents démontre que Couture ne semblait pas d’un caractère commode et qu’il entendait faire reconnaître ses droits. Selon ces mêmes documents, il paraît avoir outrepassé ses prérogatives de juge et de capitaine de la seigneurie. Malgré tout, il est appelé à quelques reprises à siéger au Conseil souverain en raison de l’absence des membres réguliers. Entre-temps, la plupart de ses dix enfants se sont alliés à des gens de bonne lignée. Ainsi, Marie épousa en 1678 François Vézier, et Claude Bourget cinq ans plus tard, Marguerite s’unit en 1680 à Jean Marsolet, fils de Nicolas Marsolet* de Saint-Aignan, et Louise épousa en 1688 Charles-Thomas Couillard de Beaumont.
Sa femme, Anne Esmard, est inhumée à Pointe-Lévy le 15 janvier 1700. Le 28 juin suivant, Guillaume Couture reconnaît devoir au « puisné de ses fils », Joseph-Oger Couture, sieur de La Cressonnière, la somme de 600ª pour avoir assisté ses père et mère durant les six dernières années, * même longtemps avant ». Le 14 novembre 1701 * lieu l’inventaire des biens de « deffunts Mr Guill Couture vivant juge senechal de la Coste de Lauzon et de Damle Anne hemard ». Il est donc mort avant cette date, et on ignore l’endroit où ce héros des premiers temps de la colonie a été inhumé.
Raymond Douville
AJQ, Greffe de François Genaple, 28 juin 1700 ; Greffe de Michel Lepailleur, 14 nov. 1701 ; Greffe de Martial Piraube, 26 juin 1641.— JJ (Laverdière et Casgrain), passim.— JR (Thwaites), passim.— Jug. et délib., I : 417, 438, II : 674.— Ici ont passé (« Publ. de la Société historique du Saguenay », II, Chicoutimi, 1934).— Jean Delanglez, Louis Jolliet (Montréal, 1950).— Léo-Paul Desrosiers, Iroquoisie (Montréal, 1917).— Archange Godbout, Les pionniers de la région trifluvienne (Trois-Rivières, 1934).— J.-E. Roy, Guillaume Couture, premier colon de la Pointe-Lévy (Lévis, 1884).— Francis-L. Talbot, Un Saint parmi les Sauvages (Paris, 1937).— Lucien Campeau, Un site retrouvé, RHAF, VI (1952–53) : 31.— Jean Côté, L’institution des donnés, RHAF, XV (1961–62) : 344–378.— Archange Godbout, Les trois sœurs Esmard, MSGCF, I (1945) :197–200.
Source: Dictonnaire biographique du Canada en ligne