Nouvelle-France

Le 18 octobre 2015 par Roger Beaupre à 8 h 49 min

L’histoire de la présence de la France comme puissance coloniale en Amérique du Nord s’étend du début du XVIe siècle, à l’époque des grandes découvertes européennes et des voyages de pêche, jusqu’au début du XIXe siècle alors que Napoléon Bonaparte vend la Louisiane aux États-Unis d’Amérique.
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L’histoire de la présence de la France comme puissance coloniale en Amérique du Nord s’étend du début du XVIe siècle, à l’époque des grandes découvertes européennes et des voyages de pêche, jusqu’au début du XIXe siècle alors que Napoléon Bonaparte vend la Louisiane aux États-Unis d’Amérique. Cette aventure française en Amérique est marquée par d’importants échanges commerciaux, mais aussi par des conflits récurrents avec les nations autochtones établies sur un vaste territoire que les Français ont cherché à s’approprier. Cette entreprise est aussi motivée par des objectifs religieux et la volonté d’établir une colonie de peuplement sur les rives du Saint-Laurent.
Les peuples autochtones vivent depuis des millénaires sur le territoire qui devient la Nouvelle-France et les Vikings le fréquente dès la fin du Xe siècle (voir Expédition vikings). Toutefois, c’est surtout de la fondation de Québec en 1608 jusqu’à la cession du Canada à l’Angleterre en 1763 que la France imprègne l’histoire d’un continent dont elle vient à contrôler les trois quarts des terres, incluant l’Acadie. Elle implante, notamment dans la vallée du Saint-Laurent (voir Basses terres du Saint-Laurent) une population qui réussit à affirmer sa vitalité et sa culture jusqu’à nos jours.

Fondation et contexte

La fondation de la Nouvelle-France s’inscrit, au XVIe siècle, dans le vaste mouvement des grandes découvertes. À la suite des autres puissances de l’Occident chrétien (Angleterre, Espagne et Portugal) et des entreprises de Christophe Colomb en 1492, John Cabot en 1497, puis des frères Corte-Real (voir aussi Portuguais), la France s’intéresse aux terres nouvelles. En 1524, Giovanni Verrazzano longe la côte orientale de l’Amérique, de la Floride à Terre-Neuve. Par la suite, Jacques Cartier effectue trois voyages de découverte. Il prend possession du territoire au nom du roi de France en plantant une croix à Gaspé (voir Gaspésie) en 1534. L’année suivante, il remonte le Saint-Laurent, hiverne à Stadaconé (site de l’actuelle ville de Québec) et se rend à Hochelaga (Montréal). Pendant l’hiver, vingt-cinq de ses hommes meurent du scorbut. En 1536, il retourne en France.
En 1540-1541, Cartier revient et tente d’établir une colonie à l’embouchure de la rivière du Cap-Rouge. Si des objectifs religieux ont présidé à l’organisation de ces voyages, les motifs économiques sont encore plus évidents. L’espoir de trouver une route vers les Indes est constamment affirmé (voir Passage du Nord-Ouest). En 1534, le roi demande à Cartier de « découvrir certaines îles et pays : on croit qu’il doit s’y trouver grande quantité d’or et autres richesses ». Lors de son dernier voyage, le découvreur rapporte des minéraux qu’il croit être de l’or et des diamants. Ce n’était que du fer et du quartz (voir Diamants du Canada). La France se désintéresse alors de cette lointaine contrée jusqu’à la fin du siècle.
Entre-temps toutefois, et avant même la venue des grands explorateurs, des Français avaient aussi manifesté un intérêt soutenu pour les ressources poissonnières de cette région (voir Pêche). La présence de pêcheurs basques, bretons et normands sur les grands bancs de Terre-Neuve est attestée dès la première décennie du XVIe siècle. Chaque année, un nombre croissant de bâtiments (une dizaine entre 1520 et 1530, une centaine au milieu du siècle) sont armés à destination de ces zones poissonneuses. Dès 1550, les pêcheurs font sécher le poisson sur les rives, établissent des contacts avec les Autochtones et ramènent des fourrures en France. Durant la décennie 1580-1590, des armateurs délaissent la pêche pour se tourner vers le commerce des fourrures (voir Traite des fourrures), une activité qui allait amener les Français loin à l’intérieur du continent. Ainsi, c’est l’entreprise privée qui relève le défi du Nouveau Monde.
Samuel de Champlain, considéré comme le fondateur de la Nouvelle-France, construit une habitation à Québec en 1608. Il reprend les visées de Cartier de découvrir une percée vers les Indes, poursuit les intérêts commerciaux des hommes d’affaires, ses mandataires et se conforme aux volontés de la royauté. Cet établissement répond à des impératifs économiques : se rapprocher des zones riches en fourrures, resserrer les contacts avec les pourvoyeurs autochtones et favoriser l’obtention du privilège d’exploitation. L’envergure d’une telle entreprise oblige à former des compagnies.
L’administration commerciale de la colonie et les missions religieuses
De 1608 à 1663, l’administration de la colonie est confiée à des compagnies de commerce formées de marchands de diverses villes de France. Les compagnies qui se succèdent s’engagent à peupler et à développer cette terre française en Amérique, en retour du privilège exclusif d’exploiter ses ressources. La Compagnie des Cent-Associés, une création du grand ministre de Louis XIII, le cardinal de Richelieu, gère la Nouvelle-France directement ou par des compagnies subsidiaires de 1627 à 1663. Elle n’atteint pas les résultats escomptés. En 1663, la population dépasse de peu les 3000 personnes dont 1250 enfants nés au pays. Moins de 1 pour 100 des terres concédées sont exploitées. Champlain, en 1618, avait anticipé des revenus annuels de 5 millions, grâce à la pêche, aux mines, au bois, au chanvre, aux toiles et à la fourrure. Cependant, seule cette dernière est rentable, et encore moins que prévu et de façon très irrégulière. L’évangélisation ne connaît pas de meilleurs succès.
Au cours de son premier demi-siècle d’existence, la Nouvelle-France a connu une véritable épopée missionnaire (voir Missions et missionnaires) comme en font foi le nombre et le zèle de ses apôtres inspirés par la contre-réforme catholique (voir Catholicisme). En 1632, les Jésuites fondent la mission de Sainte-Marie-des-Hurons, en plein coeur de la sauvagerie. Ville-Marie, qui devient Montréal, est l’oeuvre de mystiques et de dévots. Mais les missionnaires ne réussissent finalement qu’à convertir un petit nombre d’Autochtones. De fait, plusieurs événements politico-militaires ont entravé les efforts de colonisation. Les alliances conclues par Champlain ont entraîné des guerres et suscité des ennemis. Québec tombe aux mains des Kirke en 1629. Dès la remise du pays à la France en 1632, les nations iroquoises commencent à se montrer belliqueuses. Entre 1648 et 1652, elles détruisent la Huronie, centre névralgique des échanges commerciaux et de l’apostolat missionnaire. Les épisodes rocambolesques et exagérés des aventures et mésaventures de Pierre-Esprit Radisson et de Dollard des Ormeaux montrent tout de même que la survie de la colonie était menacée.
En 1663, Québec n’est encore qu’un comptoir commercial. L’exploitation de la fourrure s’oppose à celle de l’agriculture (voir Histoire de l’agriculture). La rencontre des cultures s’avère néfaste aux nations autochtones, décimées par la guerre et la maladie. La population française est numériquement très faible. L’administration de la colonie par des exploitants s’avère un échec. La compagnie remet la destinée de la Nouvelle-France entre les mains du roi.

Essor sous l’administration royale

L’entrée en scène de Louis XIV favorise l’essor de cette colonie dont il fait une véritable province de France. Il la dote d’une organisation administrative hiérarchisée, veille au peuplement, étend son emprise territoriale et permet la multiplication des entreprises économiques. Auparavant toutefois, il fallait assurer la paix.
Sous les ordres du marquis de Tracy, le régiment de Carignan-Salières érige des forts, ravage des villages et démontre la puissance militaire française. Les Iroquois font la paix. Quatre cents soldats restent au pays pour le coloniser. La royauté facilite également la migration de quelque 850 filles à marier (voir Filles du roi), pour la plupart, orphelines de militaires. On favorise la nuptialité rapide et la natalité. Quand les descendants de ces personnes isolées arrivent à l’âge de s’établir, vingt ans plus tard, la structure démographique est changée. D’une femme pour six hommes qu’elle était en 1663, la répartition entre les sexes devient sensiblement égale. Dorénavant, la population se renouvelle à 90 p. 100 grâce aux enfants nés dans la colonie.
Louis XIV met en place une structure administrative similaire à celle instaurée dans les autres provinces et colonies du royaume. Sous l’autorité du Contrôleur général des Finances puis du Ministère de la Marine, la direction de la colonie est confiée à un Gouverneur responsable des questions militaires et des affaires extérieures et à un Intendant responsable de la justice, de la police et des finances, en somme de tous les aspects civils de l’administration coloniale. Un Conseil souverain – devenu Conseil supérieur en 1717 – agit comme tribunal d’appel et enregistre les édits du roi.
Reprise de l’exploration et expansion économique
La volonté impérialiste de Louis XIV, la pacification des Iroquois et la nécessité de reconstituer le réseau de traite des fourrures favorisent la reprise des explorations vers les Grands Lacs et le Mississipi. François Dollier de Casson, Louis Jolliet et le Père Marquette, Cavelier de La Salle s’illustrent. Mais les guerres avec les Iroquois reprennent en 1682 et la colonie se donne de nouveaux héros, comme Lemoyne D’Iberville. L’action politique militaire et missionnaire s’ajoute aux impératifs économiques qui forcent à s’approvisionner en fourrures auprès des nations autochtones.
Enfin, l’intendant Jean Talon, solidement appuyé par le ministre Colbert et aidé par une conjoncture favorable amorce un dynamique programme de développement. À l’agriculture et au commerce des fourrures sur lesquels il veille avec soin, il ajoute la construction navale, le commerce avec les Antilles, les cultures industrielles du lin et du chanvre, les entreprises de pêche, une brasserie, etc. À son départ en 1672, la conjoncture ayant changé, il ne subsiste presque rien de ces initiatives, prématurées.
Il n’est pas facile de saisir les composantes majeures de cette société en formation. De l’Acadie, l’on connaît la qualité des établissements agricoles, l’importance de la pêche et l’alternance des gouvernements britanniques et français. Dans la vallée laurentienne, l’agriculteur, bien qu’il forme la majorité de la population, n’est souvent encore qu’un défricheur. L’artisan n’est pas soutenu par de grandes entreprises. Le traitant de fourrures est soumis à des contraintes économiques de plus en plus sévères, mais il fournit le seul produit d’exportation. Les officiers militaires, grâce à l’entrée de numéraire et aux occasions de se faire valoir, par leur intrusion dans le commerce et dans l’entourage du gouverneur, jouissent d’un prestige certain. Le seigneur dispose de peu de revenus et tient son rang de son titre et de l’exercice d’une fonction autre que celle liée à la terre (voir Régime seigneurial). La mobilité sociale, encore possible, mélange les catégories et les groupes. Il y a deux mondes : celui de la ville et celui de la campagne.
Fin de l’essor et crise économique
Au début du XVIIIe siècle, la Nouvelle-France atteint son maximum d’extension territoriale. Environ 250 personnes vivent dans une dizaine d’agglomérations à Terre-Neuve. L’Acadie compte près de 1 500 habitants. Quelques centaines de personnes s’établissent à l’embouchure du Mississipi et autant dans la région des Grands Lacs. Quelques centaines de personnes pratiquent de façon saisonnière la pêche sur les côtes du Labrador. Le bassin de la rivière Saguenay, qui constitue le Domaine du Roi, contient quelques postes de traite. Le Canada de l’époque compte quelque 20 000 habitants, agriculteurs pour la plupart, répartis en un long ruban de peuplement entre 1es deux agglomérations urbaines de Québec et de Montréal.
À l’ouest, une série de postes de traite et de forts jalonnent les voies de communication. Enfin, un peu plus tard, La Vérendrye déroule la carte du continent jusqu’aux pieds des Rocheuses. Mais la Nouvelle-France est un colosse aux pieds d’argile. Les colonies britanniques américaines sont vingt fois plus populeuses et se sentent encerclées et menacées. Par le Traité d’Utrecht en 1713, qui marque la fin de la Guerre de la succession d’Espagne, la France cède à l’Angleterre, Terre-Neuve, la péninsule de l’Acadie, la baie d’Hudson et sa suprématie sur l’Iroquoisie. De plus, le XVIIIe siècle s’ouvre sur une crise majeure dans l’économie coloniale. Le principal produit d’exportation est touché par une mévente en Europe, une qualité à la baisse et des coûts de revient moins attrayants. Les nombreux jeunes gens qui viennent de s’établir n’ont d’autre choix que de se replier sur la terre.
Relance en temps de paix
La reprise économique est bien lente, mais elle connaît un essor sans précédent au cours de la longue période de paix qui s’étend de 1713 à 1744. Pour protéger ses zones de pêche, son territoire et les échanges commerciaux avec la colonie, la France érige une imposante forteresse à Louisbourg. Le développement de l’agriculture rapporte des surplus qui, à compter de 1720, sont exportés vers l’île Royale et les Antilles françaises. Le territoire du Canada compte environ 200 seigneuries. Le peuplement accéléré par un taux de natalité très élevé entraîne la création de paroisses. Les règles du mercantilisme n’empêchent pas l’implantation de deux industries majeures : les Forges Saint-Maurice et la construction navale royale (voir Construction navale et réparation de navires). Une route de terre relie pour la première fois Montréal à Québec en 1735. Malgré cet élargissement des fondements économiques de la colonie, la fourrure constitue encore 70 p. 100 des exportations. Et la paix sert à préparer la guerre. Les budgets de la colonie – qui n’atteignent même pas les sommes engagées dans les loisirs du roi – sont constitués à 80 p. 100 de dépenses militaires. La construction de fortifications à la façon européenne y occupe une part beaucoup plus importante que le resserrement du réseau d’alliances avec les nations autochtones. Une stratégie de défense s’était implantée.
La société coloniale, influencée par l’élite française qui gère sa destinée, se modèle sur celle de la mère patrie. Elle s’en éloigne toutefois à cause de la faiblesse numérique de la population et d’un contexte économique et géographique radicalement différents. Nobles, bourgeois, officiers militaires, seigneurs, administrateurs civils et négociants s’allient entre eux et forment une haute société très sensible aux faveurs des autorités de la colonie. Cependant, 80 p. 100 de la population vit sur la terre et des produits de la terre. Chaque génération produit de nouveaux pionniers qui recommencent à défricher, peupler, s’acclimater aux saisons, aménager une nouvelle portion de territoire et à s’associer à ses voisins. L’importance de la terre, du bien paternel, de l’indépendance économique caractérisent l’appropriation de ce territoire d’Amérique par des descendants de Français.
Conquête : la France laisse aux Anglais ses quelques arpents de neige
La France estime cependant que la Nouvelle-France coûte cher et rapporte peu. La Guerre de Sept Ans met face à face l’Angleterre, devenue une puissance maritime agressive, et une France acculée à la défensive. Elle oppose les colonies britanniques peuplées de 1 500 000 d’habitants au maigre 70 000 personnes qui marquent le succès mitigé de l’entreprise de colonisation française en Amérique du Nord. Après des succès militaires retentissants grâce à une stratégie adaptée au pays, la France se cantonne à la défensive. Le 13 septembre 1759, les troupes du général James Wolfe infligent une défaite à celles du Marquis de Montcalm sur les hauteurs d’Abraham (voir Bataille des plaines d’Abraham), près de Québec. L’année suivante, Montréal tombe à son tour. Par le Traité de Paris (1763) la France cède sa colonie à l’Angleterre. C’est la fin ou presque du pouvoir politique de la France en Amérique, mais non pas de la présence française.
La France a donné à l’Amérique un legs inestimable : les Canadiens-Français. Ils résisteront aux tentatives d’assimilation et réussiront à s’affirmer. Protégés par leur langue, leur religion et leurs institutions, et regroupés sur un territoire restreint, difficile à pénétrer, ils ont développé un mode de vie, des pratiques sociales et des traditions qui leur sont propres. Devenu québécois, ce peuple tentera de former une nation.


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